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BRUNET Auguste

 

UNE GRANDE FIGURE DU METIER MARITIME

AUGUSTE BRUNET, DERNIER CAP-HORNIER DUNKERQUOIS

 

Mathias Bommelaer, Jules Leroy, Louis Bossu, Charles Gossin... Des noms qui n’évoquent rien pour qui ne s’est jamais intéressé au pilotage ou au sauvetage dunkerquois. Des noms, cependant, qui sont synonymes de courage et d’abnégation, des noms qui ne resteront très discrets dans l’histoire que par la volonté de ceux qui les ont portés, qui les portent encore aujourd’hui.
Parmi eux, Auguste Brunet... Ce siècle (le nôtre), avait 2 ans. Dunkerque est alors en pleine croissance : les 5 darses du port-est seront construites de 1882 à 1916, la construction navale voit le jour en 1889, la sidérurgie s’implante en 1912 ; le tonnage traité est multiplié par dix de 1850 à 1910. Comme dans d’autres régions à fort potentiel industriel Dunkerque exploite au maximum les années de paix : elle en a connu si peu au cours de son histoire ! L’Hôtel de Ville dont le beffroi dépasse de 25 mètres en hauteur le grand phare, est inauguré en 1901.

 

Au domicile de Léon Brunet, dans la vieille rue Saint-Jean, naît le 9 octobre 1902 un garçon que l’on nommera Auguste, simplement parce qu’à Dunkerque tous les garçons s’appelaient alors Auguste, Charles, Théophile ou François ! Le père est capitaine au long-cours. Il navigue chez Bordes où il commanda successivement l’ALEXANDRE, quatre-mâts barque, l’ACONCAGUA II, trois-mâts barque et le trois-mâts carré MADELEINE II. Tous trois seront coulés en 1917 par les sous-marins allemands. Il deviendra Capitaine-expert à la Chambre de Commerce.

 

Chez les Brunet, on est marin de père en fils : le grand-père a terminé sa carrière comme Capitaine d’Islande. Le cousin Edouard est patron du canot de sauvetage de Gravelines, l’autre fils de Léon navigue également. Comment Auguste échapperait-il à la tradition? Dix jours après l’Armistice, il vient d’avoir 16 ans, Auguste embarque comme mousse sur un petit caboteur dunkerquois, le QUAND MËME. Six mois lui suffisent pour réaliser qu’il a d’autres ambitions, d’autres rêves. Le 20 mai 1919, il met son sac sur un beau 4-mâts-barque en acier de chez Bordes, le WULFRAN PUGET, commandé par Maurice Languettée (1880-1942), autre dunkerquois.

 

La dure école commence : le passage du Horn en 3 semaines par des creux de 20 mètres certes, mais aussi l’apprentissage de la grande voile et de ses servitudes. C’était l’époque où lorsqu’il n’y avait plus de tabac, on chiquait du bitord

 

Auguste est novice et selon la tradition, il fait le service du salon. Il n’a jamais vu d’avocats et les confond un jour avec des poires. Pour lever le doute, il en avale un, ne trouve pas d’explication à donner au Capitaine sur ce manquant et se retrouve à califourchon pendant une heure sur le gui, une baille d’eau dans chaque main. Ce qui n’empêchera pas monsieur Languétée, après 8 mois de voyage, de qualifier Auguste d’excellent jeune homme de très bonne volonté et recommandable sur le certificat de débarquement.
Deux bons mois de congés non payés et Auguste repart sur le RHONE, sister-ship du WULFRAN PUGET. Un nouveau passage du Cap Dur, un nouveau voyage de 9 mois et demi. Il débarque à Dunkerque le 14 novembre 1920, pour repartir 2 jours plus tard sur l’ALMENDRAL, autre 4-mâts barque.
Vient le temps du service militaire. Dix huit mois ternes et sans histoire. Auguste ne s’y plait guère. Au printemps 1925 il est de passage à Cherbourg. Au bout du quai, un 3-mâts barque dont la silhouette ne lui est pas inconnue : C’est le “POURQUOI PAS”, commandé par Charcot, qui s’apprête à partir au Groenland pour une campagne océanographique. Envie de repartir en mer pour un véritable voyage, nostalgie de la grande voile ? Toujours est-il qu’Auguste rencontre Charcot et obtient de lui sa mutation à bord du POURQUOI PAS, comme quartier-maître radio.
Mais il s’est fiancé quelques mois plus tôt et Marthe n’apprécie pas sa décision. Le père Brunet dicte à Marthe une lettre, le mettant en demeure de choisir entre Charcot et elle. Sa réponse ne se fit pas attendre : “Pas de chéri, pas de bisous, le POURQUOI PAS d’abord, toi ensuite”. Et il en fut fait ainsi.
Libéré en novembre 1925, Auguste épouse Marthe, embarque comme lieutenant sur le vapeur “UNION” et obtient son brevet de Capitaine fin 1927. Un an plus tard il est entré au pilotage de Dunkerque où il restera jusqu’à sa retraite en 1957.
>En mai 1940, c’est le sacrifice de Dunkerque... Le 10, la population apprend que les troupes allemandes ont agressé la Belgique et les Pays-Bas. A Dunkerque les alertes se multiplient, les réfugiés belges affluent de toutes parts. Les bombardiers ennemis pilonnent la côte, laissant la ville en cendres. L’enfer durera près d’un mois.
Auguste Brunet, officier des équipages de réserve, a pris le commandement de “ l’ANGELE MARIE” transformé pour la circonstance en navire de reconnaissance
Le 2 juillet 1941, il recevait la Croix de Guerre avec palmes, au motif suivant : a montré la plus grande valeur comme Commandant de son bâtiment pendant les opérations devant l’ennemi. Le 10 mai 1940, a mis hors de combat un avion ennemi. Le 28 mai 1940, a sauvé 375 militaires et civils du jour, a mis hors de combat 2 bombardiers ennemis qui attaquaient son navire pendant le débarquement des munitions qu’il avait mission de conduire dans le Port de Dunkerque. Le 2 juin, a participé, sous un violent bombardement à l’évacuation de ce port
Les hostilités terminées, Auguste retrouve le pilotage. Comme le rappelle Jacky Messiaen, tout ce qui restait aux pilotes lorsqu’ils reprirent leur service le 9 mai 1945, c’est une citation à l’ordre de l’Armée de Mer : ont assuré leur service avec un complet mépris du danger... ont continué en mai-juin 40 à assurer leur service de pilotage malgré les bombardements violents de l’aviation allemande. Le port est totalement détruit, 114 épaves encombrent les darses. Le travail reprend aussitôt à Boulogne 2 chalands qui serviront à évacuer les décombres. Le 3 mai, il rentre le remorqueur JOHAN En septembre de timides opérations commerciales, peuvent recommencer et le RUBFRED, l’un des tout premiers cargos à rentrer à Dunkerque, est piloté par Auguste Brunet.
En 1949, la tradition familiale reprend le dessus : Auguste devient patron du canot de sauvetage de Dunkerque, comme d’autres pilotes l’avaient été avant lui, comme le cousin Edouard à Gravelines qui, patron de l’AMICIA avait sauvé en décembre 1933 l’équipage du bateau-feu DYCK, drossé à la côte. Auguste gardera cette responsabilité pendant 22 ans. Son premier sauvetage, il s’en souvient comme si c’était hier : le ferry REINE-ASTRID qui faisait route d’Ostende à Douvres se trouve en difficulté en passant devant Dunkerque. Le vent souffle de Nord-Ouest, force l0. On dissuade Auguste de sortir il répond : c’est cela, je vais attendre qu’il fasse calme plat, et puis j’irai chercher les passagers. Il passe outre et par des creux de 6 mètres, traverse les bancs côtiers et porte secours au navire en perdition. Ce premier sauvetage lui vaudra la médaille de l’ordre de Léopold
Aujourd’hui, Auguste ne compte plus ses médailles ! Si vous lui demandez de vous les montrer, il sortira d’un placard une vieille boîte à biscuits qu’il se contentera d’ouvrir car cela ferait trop de poussière s’il devait la retourner sur la table !
En 1970, 13 années après sa retraite du pilotage, Auguste laissera la barre du canot de sauvetage dans d’autres mains. Que voulez-vous,il n’avait que 52 ans de service à la mer, mais un ulcère à l’estomac le préoccupait ! Il demeure l’un de ces Compagnons du Courage, pour reprendre l’heureuse expression de Georges Fleur.
Aujourd’hui la tradition n’en est pas pour autant rompue Auguste Brunet n’a pas eu de fils, mais son gendre est capitaine au long-cours, pilote à Dunkerque et... patron du canot de sauvetage !
J.M. Van Hille, membre honoraire A.I.C.H.